Des mystères, on en rencontre partout pour peu qu’on perçoive combien la vie est une merveille. Une histoire ? L’autre jour, marchant dans une grande ville romande, je me fais dépasser – c’est vrai que ma jambe de bois ne me permet plus les folles gambades de ma jeunesse, même si j’avance encore - par une joyeuse troupe de jeunes écoliers. En parlant avec leur maîtresse, elle m’explique qu’ils sont en route vers un EMS, ces établissements qu’on appelait autrefois moins pudiquement «asiles de vieux». Sur son initiative, ces bambins et ces aînés se sont écrits des petits mots à distance et là ils vont se rencontrer pour la première fois. On sent une belle tension dans les rangs. Les gosses vont vers l’inconnu. Tout à coup, chemin faisant, la gentille cordée passe devant le stade de la ville, si majestueux avec sa coupole et ses hauts murs de béton qu’on l’appelle aussi «Stade olympique». Découvrant l’énorme bâtiment, un des enfants s’exclame alors, sûr de lui : «ah le voilà, l’EMS où on va !» J’en ai d’abord souri : le rapprochement entre la brigade d’athlètes musclés qui occupent le lieu et les vieillards à peu près immobiles avec qui les enfants avaient rendez-vous était si drôle. Mais ensuite, j’ai envié leur innocence. Je me suis souvenu de moi au même âge, si heureux d’appliquer mon imagination à la réalité, de la voir comme je le décidais. Car c’est vrai, après tout, pourquoi les seniors ne s’ébattraient-ils pas sur la verte pelouse d’un terrain de football et ne vivraient-ils pas le restant de leurs jours dans un endroit immense, en hommage aux milliers de journées qu’ils ont déjà vécues parmi nous ? Gardons donc nos secrets et préservons les mystères. Tout ce qui est trop rationnel nous réduit un peu, et ce n’est pas le célèbre magnétiseur et paysan fribourgeois Denis Vipret, aux sabots bien plantés dans le sol et aux pouvoirs inexpliqués, qui dira le contraire. Vous le retrouverez en page 84. Mystérieux et hors mode, mon almanach continue donc sa route. Dans cette édition, il rencontre un espérantiste optimiste, une découpeuse de papiers acharnée, une peintre libre du début du XXe siècle ou une dentiste qui soigne les chevaux avec amour ; il se balade dans Carouge et parle de tortues, de courges, de blagues, de pourboires ou d’hirondelles. Année après année, il compte sur le geste fort symbolique du lecteur qui fera l’effort de le dénicher dans un kiosque. En accomplissant le rituel trois fois centenaire, celui-ci entrera dans le monde de mes secrets.
Bienvenue à lui, et à l’année prochaine.
p.c.c. Marc David
Légende : «J’aime le secret. C’est, je crois, la seule chose qui puisse nous rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse» (Oscar Wilde)